L'art de faire des vagues

Le dévaloir, terme suisse désignant, entre autres, un conduit destiné à l’évacuation d’ordures ménagères. Courant des années 60-70, le principe de ces gouffres avaleurs de détritus, disponibles à chaque étage, est adopté dans les chalets de luxe. Aux concierges ou aux personnels de service de vider ensuite en sous-sol ces conteneurs métalliques. Une sale besogne puisqu’avant incinération, les guérilleros de la propreté devaient trier cet écœurant méli-mélo, en transvaser les contenus dans des sacs à déposer dans les petits chalets-dépôts d’ordures. Voilà pour l’envers du décor. Le bon côté de cette collecte de rebus : un gain potentiel. En ramenant nombre de cadavres de bouteilles vides, alors consignées à 50 centimes pièce au magasin, certains parvenaient à arrondir leurs fins de mois. Un concierge a même confessé que ce petit commerce – estimé à la louche à près de 3000 flacons l’an – lui permettait de se payer des vacances ! Et ce jusqu’au moment où ces dévaloirs, jugés dangereux car à l’origine d’incendies, furent murés dans l’oubli.

De la fulgurance de cet instant T où soudain l’existence bascule, Marko Shapiro peut en témoigner. A l’origine de son changement de trajectoire : son employeur d’alors, Pascal Burri, patron du restaurant le Fer à Cheval, prof de ski à ses heures. Contacté par ce fleuron de l’industrie de la glisse qu’était Authier en mal de clichés promotionnels pour l’un de ses modèles, ce dernier répond qu’il a la personne ad hoc dans son viseur. Qui ? Son employé occasionnel épris de photos. Côté mise en scène, un rien fera l’affaire, à savoir une ceinture de peignoir estampillée du nom des skis à vendre que Pascal, sujet à immortaliser, passera autour de sa tête en guise de bandeau. Et c’est le jackpot puisque ces images ont servi de tremplin à la future carrière de Marko.

En s’offrant le luxe de faire scintiller son nom dans la Voie lactée des étoilés, Roland Pierroz (1942-2015) a été le premier à avoir porté haut les couleurs de la gastronomie de la station grâce à l’excellence de sa table. Non content d’avoir joué les défricheurs, il a été l’un des artisans, aux côtés de Frédy Girardet, « cuisinier du siècle » en 1989, et du chef bâlois Hans Stucki, du renouveau de la haute cuisine helvétique. Excusez du peu ! Fort bien, mais savez-vous pourquoi d’aucuns sont allés jusqu’à clamer qu’il « était Verbier », qu’il en était l’incarnation ? Parce qu’en plus d’être un magicien enchanteur de papilles, il a coiffé la toque de brillant porte-voix pour assurer la promotion de son pied-à-terre. Verbier, via ce roi des fourneaux promu président de l’Office du Tourisme, détenait là le meilleur avocat pour faire recette.